La Bruyère trouvait le caractère de Tartuffe outré et invraisemblable. Il a refait le portrait de l'hypocrite dans Onuphre.
La Bruyère a refait le portrait de l'hypocrite, déjà tracé par Molière. L'intention de critiquer est manifeste : Tartuffe et Onuphre s'opposent trait pour trait. Tartuffe lui semble outré et invraisemblable. Voyons qui a raison du moraliste ou du poète dramatique.
I. Certaines exagérations s'expliquent par les nécessités du théâtre.
1. La scène en effet a ses exigences. Elle demande des traits accentués (optique théâtrale). Onuphre qui est discret, adroit, qui vient à ses fins sans se donner la peine d'ouvrir la bouche ne produirait aucun effet. Il faut que Tartuffe, au contraire, parle constamment du ciel, qu'il dise : Serrez ma haire avec ma discipline : ce début est un coup de génie. (Cf. Sainte-Beuve.)
2. Le désir de bien distinguer le vrai dévot du faux devait amener aussi Molière à grossir les traits. Il faut que Tartuffe soit connu pour ce qu'il est par presque tous les personnages... et par les spectateurs, sous peine de sombrer dans le drame.
Il faut qu'il ne puisse tromper que des imbéciles. Un hypocrite qui flatterait tout le monde serait plus redoutable, mais il serait déplacé dans une comédie. De là ces soupirs, ces roulements d'yeux, ce ton radouci, etc. Notons, d'ailleurs, ici, une certaine ressemblance avec La Bruyère (I, 5, v. 285).
3. Enfin la comédie vit de contrastes. Aussi notre hypocrite sera gros et gras, il mangera et dormira bien, etc... (Le pauvre homme !)
II. Quelques autres sont demandées par les habitudes de théâtre de Molière, et le désir de faire un personnage vivant et complexe.
Tartuffe n'est pas n'importe quel hypocrite. C'est un homme qui a un certain tempérament, qui est sensuel et passionné, et qui vit dans un milieu donné... Molière choisit ce milieu de façon à bien faire ressortir son vice et à en montrer les funestes conséquences. Tartuffe chez un vieillard sans enfant serait moins redoutable et moins plaisant.
Et il ne faut pas trop crier à l'invraisemblance.
1. S'il entre chez Orgon, c'est qu'il a trouvé en lui une dupe privilégiée. On pourrait dire qu'il n'a pas choisi. C'est Orgon, lui-même, qui l'a découvert. (I, sc. 5, v. 281 et sp).
2. S'il cajole Elmire, c'est qu'il n'est pas sans faiblesse.
"Ah ! pour être dévot, je n'en suis pas moins homme !"
Ce mot n'est pas seulement odieux, il est profond. Evidemment un hypocrite qui ne serait qu'hypocrite ne commettrait pas cette maladresse. Onuphre est le type même de l'hypocrite, l'hypocritique en soi, tel qu'il doit être. L'hypocrisie de Tartuffe ne l'empêche pas d'être tendre à la tentation. Il croit trouver une complice facile dans Elmire. C'est qu'elle a des allures très libres et qu'elle l'écoute trop volontiers. Son jargon galant et dévot à la fois est tout à fait dans la nature et la vérité.3. De même pour la donation. Ce sont les circonstances et la sottise d'Orgon qui ont brusqué les choses. Son projet primitif n'était pas d'expulser Orgon de chez lui, ni peut-être même de déshériter Damis, mais d'épouser Mariane, ce qui semblait faisable. Après le scandale, il n'a plus le choix qu'entre partir et s'avouer vaincu ou aller jusqu'au bout.
Qu'on dise qu'il est parfois maladroit, ou qu'il n'est qu'un vil escroc, qu'il est moins parfait en son genre qu'Onuphre, mais qu'on ne dise pas qu'il n'est pas vrai. Alceste, non plus, n'est pas logique... Tartuffe est vrai, vivant et dramatique.
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