Tic.tac, Acrylique sur toile, dimensions: 120x160cm, Année: 2011, Hugo Maldonado. |
dans ma ville je blâmais sa population gay clairsemée jusqu'à me faire haïr l'homosexualité elle-même, et en tout premier lieu mon homosexualité. cette constance à se cacher m’horripilait et cet exercice contraignant et souvent fastidieux consistant à débusquer un autre homosexuel me désespérait.
malgré mes résolutions existentielles j'allais parfois me confiner dans la pratique de l'exploration cynégétique des lieux de tolérance. clos, ouverts, variés, déconcertants. théâtraux.
adolescent je me sentais comme un chien entrain de creuser des trous partout dans la verte pelouse de la morale, dans l'espoir fou de tomber sur un os. n'importe lequel, y compris celui d'un autre. je pensais que dans une ville tout devait être ouvert, le nombre de partenaires devant augmenter de façon exponentielle à mesure que je gagnais en aisance de nouveaux quartiers, de nouveaux arrondissements, j'allais en fonction de leur attractivité et de leur compatibilité supposée.
fervent pratiquant d'une religion commune, j'en consommais sans retenue les sectes tant disparates qu'antagoniques, pour devenir moi aussi une sorte de signalétique objective de groupe, vénérant jusqu'au conformisme le factice et le superficiel.
il est vrai que, dès lors, les partenaires devenaient plus nombreux. le potentiel augmentait autant que les révélations expérimentales. mais cela ne changeait rien de mon appréciation initiale. les choses que je voyais souffraient d'une ghettoïsation quasi systématique qui chaque fois dressait plus de frontières au monde que je souhaitais librement intégrer. et chaque fois je partais. rétif à toute normalisation y compris dans la dissemblance.
partir? fuir? quitter? je n'en savais rien moi-même, alors pour temporiser je tentais de hiérarchiser les trois. procrastination.
j'aurais dû penser que je ne pouvais pas me fuir moi-même. courir loin de la ville, jusqu'à la sobriété de la chair, l'apaisement végétatif, mais je ne pouvais assurément pas me fuir moi-même. cette pensée là ne m'est jamais venue avant. ce simple fait d'être toujours là quand je suis là. ridicule non?
quel que soit le lieu ou le déguisement, l'individu demeure ce qu'il est. c'est une manière de solitude. celle de l'atome.
dans une petite ville j'ai découvert le sentiment de ne trouver personne, cela, étonnement, simplifiait les rencontres. dans une grande ville, j'avais l'impression d'avoir tout le monde et autant de codes à intégrer ce qui compliquait tout. et dans l'une et l'autre me sentir à l'écart et déconnecté. parfois, je préfère la petite ville. parfois. il m'arrive aussi de regretter la grande ville où j'ai grandi, avec cette chance d'y avoir vu la variété infinie des gens. cela dit je peux affirmer que je suis apte à déménager de façon permanente. la grande ville m'a mentalement structuré autour de cette quête de l'autre tout en abritant la maison familiale repliée sur ses certitudes, elle a fait de moi un nomade, physique et mental.
suis-je aussi faible d'esprit que la plupart de mes contemporains? poursuivant l'imaginaire du voyage intérieur dans les films publicitaires, les livres édifiants. songeant que d'autres terres sous d'autres cieux leur permettraient d'acquérir enfin ce qu'ils pensent être eux mêmes. leur soulageraient le "moi" de ses scrupules liberticides. se construire jusqu'à la fin, interminablement, "deviens ce que tu es", toujours et encore, façon Sisyphe, dans l'éternité éclair d'une vie. je crois avoir fui ou quitté, en tout cas être parti pour d'autres causes, ignorant volontairement leur raison.
pour revenir à mon sujet, il faut reconnaître ce que l'expérience enseigne : le nombre d'hommes homosexuels est limité. et je vais être honnête, si la quantité de partenaires sexuels fut mon obsession principale d'une époque, j'ai fini par évoluer jusqu'à concevoir d'intégrer mon tempo au rythme sentimental du couple. l'âge et la petite ville ont dû faire jeu commun pour obtenir ce résultat.
ainsi, pour être passé du rôle de prédateur à celui d'observateur, je me confonds d'admiration pour ces hommes de tous âges qui, sans plus d'ostentation que de dissimulation, parviennent à se créer au sein de la petite ville, où tout le monde connaît tout le monde, un univers qui leur corresponde et préserve leur plaisir. bien que cette culture enfin mise en lumière échappe encore à la plupart des non-initiés elle paraît en droit de coexister. j'ignore bien sûr si nous sommes dans le registre du provisoire ou du définitif. ce que je sais c'est que plus longtemps ces comportements pourront se maintenir plus ils assureront de liberté aux intéressés, sans changer le cours du monde.
être un homme apprécié et contesté à cause de sa différence. intrusion dans son intimité pour en déformer la spécificité. on parle de l'indignité de la fouille au corps, les homosexuel(le)s subissent une fouille au corps morale permanente. une de ces brisures qui peut diviser un homme en deux. mais pas vous qui vivez comme un seul homme toute une vie, ou réapprenez à le devenir. en dépit de l'inégalité, en dépit de la haine. se sentir coupable d'aimer, pas de mal aimer, de trop aimer, parfois, à force de renoncements. certains vous diront que vous êtes un menteur, un lâche, un accident monstrueux, mais vous vivez une vie courageuse. ne jamais oublier ça.
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