La Bruyère, dans le chapitre des ouvrages de l'esprit, prétend que les femmes sont généralement supérieures aux hommes dans la manière d'écrire des lettres. "Ce sexe va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire."
En m'aidant des lettres de Mme de Sévigné, je vais essayer d'expliquer l'opinion de La Bruyère.
La Bruyère loue "l'esprit, l'agrément et le style" des Lettres de Voiture et de Balzac. Mais elles lui paraissent "vides de sentiments qui n'ont régné que depuis leur temps et qui doivent aux femmes leur naissance." Il avait pu connaître des lettres de Mme de Sévigné, sans parler d'autres femmes distinguées de cette époque. Il avait fait la comparaison ; c'est ce qui explique son opinion. Il est certain, d'ailleurs, qu'en général, les femmes semblent posséder davantage les qualités qu'exige la lettre.
I. Naturel et simplicité. Une lettre, c'est une conversation par écrit ; elle exige les mêmes qualités : aisance, naturel, bonne grâce ; non pas nécessairement abandon et laisser-aller ; il faut désirer plaire, un peu de coquetterie ne nuit pas : savoir se mettre en frais pour une seule personne ; mais éviter le ton doctoral et l'affectation ; être vraiment soi-même et se conformer au goût et au caractère de celui à qui on s'adresse. Les femmes y excellent. Mme de Sévigné : montrer comme elle sait varier le ton suivant les correspondants et dire à chacun ce qui lui fera le plus plaisir.
II. Esprit. C'est le sel de la conversation et de la lettre : savoir dire les choses avec finesse, malice, faire des rapprochements imprévus, noter quelque ridicule, conter avec agrément, etc.
III. Légèreté. Passer rapidement d'un sujet à un autre, ne rien approfondir, effleurer seulement. Les femmes y sont plus propres que les hommes à cause de leur grande mobilité d'impression. (Cf. Sévigné.)
IV. Variété. On dit que les femmes sont curieuses. Si c'est un défaut, il leur est très utile dans les lettres. La correspondance de Mme de Sévigné est un recueil d'anecdotes très intéressantes pour l'histoire de la cour et de la société au XVII e siècle.
V. Imagination vive et sensibilité délicate plutôt qu'une exacte raison. La lettre ne demande ni raisonnements subtils ni pensées profondes. On doit pouvoir la lire sans peine et avec d'autant plus de plaisir que sera plus intéressante la personnalité de celui qui l'écrit.
Le jugement de La Bruyère s'explique donc très bien. Ce n'est pas à dire que des hommes ne puissent aussi parfaitement réussir "dans ce genre d'écrire" : Cicéron, Voltaire, etc. Mais peut-être trouverait-on que ceux qui y excellent ont précisément les qualités... et les défauts qu'on se plaît ordinairement à reconnaître surtout aux femmes. (Vivacité et mobilité d'impression, etc.)
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