Qui n'a pris le chemin du musée Grévin et admiré ses reconstitutions historiques comme "le Radeau de la Méduse" ? Il a d'ailleurs ses ancêtres ; voici, avec la sienne, leur histoire.
Ce que nous appelons musées de cire et dont le musée Grévin est le parisien exemple, fut d'abord désigné : Cabinets de cire... La vogue de ces spectacles hors série date de 1779, époque à laquelle un Allemand, Curx, - qui avait pour pseudonyme Curtius - en installa deux à Paris : le principal au Palais-Royal, l'autre boulevard du Temple où son succès égala longtemps celui du théâtre de Nicolet, lequel continuait à présenter "de plus en plus fort".
Mais l'origine de ces figures de cire est beaucoup plus lointaine. La céréoplastique - art de modeler la cire - remonte à la plus haute antiquité. Les Egyptiens et les Perses se servaient de la cire pour embaumer les cadavres, ce qui les amena tout naturellement à façonner des figures.
La preuve nous en est donnée par la Xe ode d'Anacréon (poète grec né en 560 avant J.-C.), dans laquelle il s'adresse à un "Amour de cire". D'autre part, lors des fêtes d'Adonis célébrées en avril ou mai, les petits jardins qui, selon la coutume, étaient disposés dans chaque maison étaient souvent composés de fleurs et de couronnes en cire, car la nature est peu prodigue en ce début de saison.
Ensuite, si l'on se rapporte à Pline l'Ancien, vint l'ère des portraits. Ce fut, nous dit-il, Lysistrata de Sicyone qui en eut la première l'idée.
La céréoplastique fut aussi très prisée à Rome. Les familles nobles conservaient les bustes en cire de leurs ancêtres. Quant à Héliogabale, il fut, peut-être le précurseur de ces humoristes qui, dans nos musées modernes, placent des personnages - attrape que l'on confond avec un gardien ou un promeneur : en effet, ne s'amusait-il pas à faire servir, moulés en cire, tous les mets qu'il présentait ensuite, mystifiant ainsi ses convives ?
Le moyen âge vit l'apparition des statues à tête de cire, mais cette matière était surtout employée pour les maléfices : il s'agissait, on le sait, de figurines reproduisant les silhouettes des ennemis que l'on transperçait d'épingles ou de petites flèches.
Mais l'idée des figures de cire naquit véritablement au XVe siècle, lorsqu'un Italien, Andrea del Verrocchio, tenta d'imiter en cire le corps et le visage des personnes mortes ou vivantes.
Au XVIe siècle, un autre Italien, le sculpteur Ludovicio Civoli, fit des modèles à l'usage des élèves en chirurgie. Cette utilisation dans une vue anatomique trouva son perfectionnement en 1701, l'abbé Gaetano Guilo de Syracuse ayant apporté à l'Académie des sciences de Paris une tête imitant si fidèlement la réalité qu'elle autorisa des démonstrations impossibles jusque-là.
Plus près de nous - et encore ! - la soeur de Mme de Montespan, Mlle de Thianges, avait donné au duc du Maine, alors âgé de cinq ans, une chambre toute meublée et occupée par des personnages de cire. Cependant, Curtius, dont nous avons parlé au début de cet article, fut le premier à comprendre la valeur spectaculaire des figures de cire.
Tout d'abord, nous dit Paul Gilson dans son curieux ouvrage le Merveilleux, " les premières oeuvres qu'exposa Curtius au musée du Palais-Royal étaient des miniatures en cire colorées, modelées en relief, vernissées comme des tableaux". Ensuite, il présenta des personnages grandeur nature... et chacun put admirer "la Famille royale dînant"... Enfin, les salons du Palais-Royal furent consacrés aux grands hommes, ceux du faubourg du Temple, dit boulevard du Crime, aux bandits de tous genres, et cette "caverne des grands voleurs" fit passer bien des frissons dans le dos des belles de l'époque.
Curtius avait une nièce, Marie Grosholtz, qui, initiée aux secrets du modelage, devait prolonger jusqu'à nos jours l'enchantement des cabinets de cire.
En effet, Marie Grosholtz épousa M. Tussaud (Tussaud, on le sait, équivaut en Angleterre à Grévin). Passionnante histoire que celle de Mme Tussaud. Tout d'abord, lorsque son oncle l'amena à Paris, Elisabeth de France la fit appeler et lui demanda des leçons de modelage, puis la Révolution éclata. Alors, commença pour elle le plus hallucinant travail : se tenant auprès de Sanson et de sa guillotine, elle prit les empreintes de toutes les têtes illustres qui tombaient afin d'en enrichir le musée.
Devenue suspecte à son tour, elle connut la prison et en sortit pour apprendre la mort de son oncle Curtius. Ayant épousé Tussaud, elle emmena tout son matériel, ses moules, ses personnages, à Londres. A l'origine, le premier cabinet de cire anglais allait d'une ville à l'autre, mais il s'installa définitivement à Baker Street, où il est encore, et où Mme Tussaud mourut en 1830, à l'âge de quatre-vingt-dix ans. (Son corps et sa tête ayant été moulés, elle reçoit les visiteurs dans une chambre de son célèbre musée.)
En France, après Curtius, fut fondé, en 1865, dans la salle Beethoven, sise passage de l'Opéra, le musée Hartkoff. C'était un musée géologique, ethnologique et anatomique : on pouvait y voir plusieurs masques de cire de personnages historiques moulés par le professeur Schwarz, célèbre phrénologue de Stockholm. Seuls, les hommes étaient admis à visiter ce musée. Même réserve était faite dans le musée du baron Guillaume Dupuytren, célèbre chirurgien dont les collections évoquent plus ou moins ce qui était présenté. Le véritable et premier musée Dupuytren était situé dans l'ancien bâtiment des Cordeliers, rue de l'Ecole-de-Médecine, et c'était en quelque sorte une annexe de la chaire d'anatomie pathologique.
Puisque nous sommes à Paris, venons-en au musée Grévin, créé en 1882 par Alfred Grévin, le dessinateur du Journal amusant, du Petit Journal pour rire, qui créa, avec Alfred Huart, l'Almanach des Parisiennes, et dont les légendes humoristiques doublaient les croquis d'une irrésistible drôlerie. Ayant compris combien l'illustration ajoutait à la popularité des journaux, il voulut, avec le musée, créer une sorte de journal plastique.
L'ambition de son successeur, M. Maurice Thomas, également administrateur de la tour Eiffel, diffère sensiblement ; l'actualité immédiate ne le retient pas autant ; certes, la suite apporte un regain d'attention aux tableaux de Grévin, mais le public se passionne surtout pour les reconstitutions historiques. Ce musée, proche parent de celui de Tussaud, en diffère sensiblement par l'esprit qui l'anime ; alors qu'en Angleterre, on s'attache presque uniquement aux mannequins, ici, il s'agit tout autant de reconstituer une scène avec décor, le plus souvent possible avec des objets historiques ayant appartenu aux hommes et aux femmes figés dans leurs cadres. Ainsi, la baignoire qui figure au tableau reconstituant la Mort de Marat est celle où il fut assassiné, et les accessoires, carte de France de 1791, numéros de l'Ami du Peuple, pique, couteau, sont d'époque. D'autre part, les costumes sont d'époque. D'autre part, les costumes sont le plus souvent ceux que portèrent les sujets.
Comment sont faits ces personnages dont la vie semble attendre un signal pour ranimer les mouvements ? A l'inverse du tailleur qui coupe son costume d'après son client, ici, le "client" est fait d'après le costume, et c'est pourquoi celui-ci doit avoir été porté, car un costume porté est un costume vivant ; l'observateur y retrouve les principales caractéristiques de celui qui l'a mis et pour le sculpteur, c'est là une aide précieuse.
Un personnage de cire n'est pas entièrement en cire, seul ce qui se voit : sa tête, ses mains, son décolleté, sont composés d'un produit où entrent de la cire, de la stéarine et de la paraffine. Le reste, caché par les vêtements, est fait soit en staff si le sujet doit demeurer longtemps, soit, si sa présence est rattachée à une actualité éphémère, en carton-pâte.
Comment procède-t-on pour reconstituer un visage ? Naturellement, le mieux est que le personnage pose pour le sculpteur, mais la chose n'est pas toujours possible, non seulement pour les morts, mais aussi pour les vivants qui n'ont pas le temps ou ne le veulent pas. Dans ce cas, on fait appel à des photos, à des croquis, voire à des notes.
La première opération est celle de tout sculpteur : modeler un bloc de glaise et, lorsque la tête est reproduite, ou plutôt sa forme, car aucun système pileux ne l'agrémente encore, on y plaque un moule de plâtre chaud qui, une fois rafraîchi, est détaché en plusieurs parties puis reconstitué et enfin rempli de cire fondante. Après séchage et démontage, on creuse l'intérieur, le sculpteur passe sa main par le cou et alors commence la délicate pose des yeux. Ce sont des yeux de verre analogues à ceux employés par les oculistes. Là, il convient d'agir avec une attention extrême car le regard, c'est tout le visage et un millimètre peut en varier l'expression : l'oeil du personnage de cire, c'est, en quelque sorte ce qui l'humanise.
Après l'oeil, viennent les cheveux. Avec une aiguille sans chas, on les implante un à un et la spécialiste de ce travail peut dire aux amateurs de statistiques qu'un homme n'a que 300.000 cheveux à opposer aux 500.000 d'une femme.
Puis le visage est maquillé, un maquillage spécial naturellement (celui des stars, voire des belles du jour, ne conviendrait pas à la cire). C'est en deux temps que s'effectue celui-ci : à la lumière du jour, d'abord, puis à celle du décor suivant les ombres et les lumières dispensées par un électricien spécial.
La tête rejoint enfin le corps et la pose des jambes, des bras où l'on visse les mains constitue l'avant-dernière opération. Signalons en passant que les mains sont presque toujours moulées sur des mains réelles.
Enfin, on habille le personnage et le miracle est fait.
Quel spectacle, cette promenade dans le temps au musée Grévin où, avec un anachronisme qui rappelle que son fondateur était un humoriste, on quitte les Fratellini et les personnages de la comédie italienne pour entrer en pleine Révolution, côtoyer Jeanne d'Arc, assister à des scènes de la vie de Jésus-Christ, et se trouver "l'invité-surpris" d'une soirée à la Malmaison, avant que de franchir le seuil du cabinet fantastique, de pénétrer dans l'enchanteur palais des mirages où, depuis 1907, les merveilles de la lumière sous toutes ses formes - la noire amène d'irrésistibles effets - se mêlent aux merveilles de l'illusion !
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