mercredi 26 décembre 2012

MATIÈRE DE CLARTÉ

Le verre... cette belle matière transparente, inaltérable, a transformé notre vie quotidienne, sans bruit, discrètement. Le verre est partout présent autour de nous. Imagine-t-on un instant notre vie sans lui ? Nous serions encore aux fenêtres garnies de papier huilé que le Chinois utilisait quelques siècles avant notre ère. L'ampoule électrique, la vaisselle ou l'appareillage des laboratoires ne peuvent se concevoir sans lui. Il éclaire nos pièces, agrandit le cadre de nos logements, facilite notre vie. Il joint l'utile à l'agréable pour se changer en cristal précieux, en opaline romantique ou en tissus soyeux. En dépit des progrès réalisés et des recherches entreprises, le verre continue à intriguer les savants. En effet, sa nature profonde reste mystérieuse. Ses principaux composants sont bien connus : la plus grande partie provient de silice ou, plus exactement, d'un mélange de silicate de soude et de silicate de chaux, c'est l'élément "vitrifiant". On y joint des éléments dits "fondants", carbonate de soude et sels divers (carbonate de potasse, nitrate de plomb, baryte...), et des "affineurs" (arsenic, feldspath, etc.) qui donnent au verre ses caractéristiques en vue d'une utilisation bien déterminée (cristal, vitraux, etc.). Ce que l'on s'explique mal, c'est que le mélange obtenu et fondu au four ne se cristallise pas au refroidissement. Ce phénomène, qui se produit parfois sous le nom de "dévitrification", est redouté des fabricants.

DES LA PLUS HAUTE ANTIQUITÉ

Certains  attribuent ce mode de solidification à l'accroissement très rapide de la viscosité du mélange quand la température baisse, ce qui devancerait le processus de cristallisation habituel et permettrait de conserver au verre la structure qu'il avait à haute température.
Si l'on en croit les historiens, le verre n'est pas, tant s'en faut, une invention récente. Sa découverte remonte sans doute à l'époque phénicienne. On avait alors remarqué que certains sables, tombés dans un feu puissant, fondaient pour donner, une fois refroidis, une matière translucide. Les villes de Tyr et de Sidon étaient célèbres dans tout le bassin méditerranéen pour la qualité de leur fabrication et l'habileté de leurs ouvriers. Ce sont sans doute des artisans orientaux qui, avec les Romains, introduisirent en France les techniques, encore bien rudimentaires, de la verrerie. Au Moyen Age, les verreries restaient des établissements nomades, se déplaçant au gré de leurs intérêts. L'appareillage était très rudimentaire : four à bois et canne creuse pour souffler le verre. Aussi, à cette époque, le verre était-il surtout utilisé pour son étanchéité, ses propriétés de transparence n'ayant pas encore été mises en évidence. Au XIIIe siècle, la fabrication du verre prend son essor en France (25 établissements) en partie grâce aux artisans vénitiens. Les célèbres verreries du Vimeu exportent alors à travers l'Europe, et la royauté protège les maîtres verriers.
En 1665, sur le rapport de Colbert, Louis XIV accorde privilège à la Manufacture royale des glaces de Saint-Gobain, où le procédé de la coulée du verre sur table va révolutionner l'industrie de la miroiterie. La nouvelle méthode remplace le soufflage du verre en cône qui donnait les vitres anciennes comportant curieusement une sorte de loupe en leur centre. On dispose, sur une table d'acier, des règles pour déterminer les dimensions de la glace à obtenir et l'on déverse le contenu du creuset dans le cadre ainsi formé. Un rouleau d'acier est alors passé sur la surface ; ensuite, la plaque de verre, encore translucide, est "doucie" et polie par un système rotatif actionné à la main. Le procédé restait long et onéreux.
En 1785, les techniques de fabrication du cristal (verre comportant une forte proportion d'oxyde de plomb), jusqu'alors exploitées exclusivement en Angleterre, se répandent en France.
Au XIXe siècle, la modernisation des fours (gazogènes, four à récupération) permet de réaliser des économies de combustible et d'améliorer la qualité des produits.
Au XXe siècle, le progrès technique bouleverse une industrie qui, au fond, avait peu progressé depuis l'antiquité. Le nombre des produits croît considérablement, la fabrication s'automatise, et de nouvelles applications du verre se développent chaque jour.

IMPORTANCE CONSIDÉRABLE

Actuellement, l'industrie française du verre emploie environ 19 202 personnes et réalise un chiffre d'affaires de 3,924 milliards d'euros (en 2011). Une grande société recouvre presque toutes les branches de cette industrie. C'est : la Compagnie de Saint-Gobain, qui assure les 9/10 de la production française. Si l'industrie française du verre ne représente que 50 % en volume de l'industrie britannique ou 10 % de l'industrie américaine, on doit remarquer que son importance réelle est bien plus considérable, si l'on tient compte de ses nombreuses filiales établies à l'étranger et dans les pays du Marché Commun.
Dans un autre domaine, les verreries à la main portent bien haut sur le marché extérieur la qualité et le prestige de nos cristaux : Baccarat, Saint-Louis, Daum ou Sèvres sont universellement connus.
A l'époque actuelle, les établissements qui, autrefois, fabriquaient toutes sortes de produits (flaconnages, vitres, verrerie d'art, etc.) se sont spécialisés dans le but de réduire leurs prix de revient et d'améliorer leurs possibilités de recherches. L'industrie du verre peut donc se diviser en grands secteurs, qui chacun gardent des caractéristiques propres.

UN VERRE POUR CHAQUE USAGE

La branche "verre plat" traite des produits allant du verre à vitre à la dalle polie. La vitre est obtenue par étirage, verticalement, ou procédé Pittsburg et Fourcault, ou horizontalement, par le procédé Libey Owens, puis refroidie progressivement dans une étenderie de recuisson. Les tubes de verre sont fabriqués de manière analogue par étirage autour d'une couronne par où l'on injecte de l'air. La glace ou la dalle est laminée à la sortie du four, recuite, puis "doucie" et polie pour donner une surface plane, lisse et transparente. Les plaques de verre sont utilisées soit pour les grandes baies, les vitrines, soit pour les pare-brise et les miroirs.
La branche verre "creux" ou "modelé" recouvre les fabrications de bouteilles, gobelets, assiettes, briques de verre, lentilles, etc. Dans la plupart des cas, une certaine quantité de verre, ou "paraison", est mise en forme dans un moule par pressage ou bien aspirée dans un autre moule et mise en forme par soufflage. Toutes ces opérations sont maintenant entièrement automatiques et ont permis des réductions importantes de main-d'oeuvre.

LE VERRE TEXTILE

Par contre, la présence d'artisans hautement spécialisés reste indispensable dans les verreries à la main. Le travail du cristal, le soufflage à la canne ou la fabrication des objets de laboratoires (tubes, cornues, lampes, etc.) nécessitent une main-d'oeuvre qui joint le plus souvent à l'habileté un solide sens artistique. Aussi cette branche compte-t-elle des effectifs nombreux par rapport à sa production..
A côté de ces secteurs traditionnels, la branche textile de l'industrie du verre a réalisé des progrès étonnamment rapides. On part d'un verre spécial qui, à sa sortie du four, est façonné en billes de 20 mm de diamètre environ. Celles-ci permettent d'obtenir, dans un premier cas, une fibre continue dénommée silionne. Les billes sont fondues dans un four filière en platine traversé par un courant à haute tension qui le chauffe par effet Joule. Le verre en fusion qui s'écoule à la filière est étiré par la traction due à l'enroulement sur une broche. A la sortie de la filière, le filament reçoit un "ensimage", qui a pour but de coller les filaments d'un même fil et de les lubrifier.
Dans le cas de la verranne, l'étirage est réalisé par un entraînement des fibres sous l'action d'un jet d'air comprimé. Les turbulences qui se forment cassent les fils qui passent ensuite à l'ensimage pour être enroulés en mèches aptes à subir les opérations classiques de l'industrie textile : rebordage, bobinage, tissage.
Les caractéristiques des tissus obtenus sont étonnantes ; ils sont indéformables, incombustibles, très résistants, isolants et réfractaires à la plupart des agents chimiques. Mais les fibres de verre trouvent leur principale application comme renfort de matières plastiques : polyesters, silicones, etc. Grâce à leurs qualités mécaniques exceptionnelles, voisines de celles des meilleurs aciers (inextensibilité), ainsi qu'à leur résistance à la chaleur et leur légèreté (certaines sont deux fois plus légères que l'aluminium), elles entrent dans la fabrication de produits multiples : carrosseries d'automobiles, plaques ondulées transparentes, coques de navires, baignoires, etc.
Il ne faudrait pas omettre non plus la laine de verre, qui tend à jouer un rôle toujours plus important dans la construction par ses propriétés isolantes qui en font un des écrans les plus efficaces contre le bruit et le froid.
C'est sans doute dans ce domaine varié que les découvertes ont été les plus nombreuses et les plus spectaculaires. Elles intéressent de multiples secteurs : astronautique, électronique et même... domestique ! Entre autres, le Pyrex trempé résiste à la corrosion des produits chimiques ainsi qu'à des écarts de température pouvant aller jusqu'à 250°. Le verre de silice, isolant électrique parfait, qui ne fond qu'à 1 800°, se trouve répondre aux usages les plus variés ; isolants pour réacteurs, sous forme de laine, hublots de satellites, tubes à infrarouges ou ultraviolets, creusets, ressorts de précision, etc.

RUBIS SYNTHÉTIQUE

Le Pyrocéram,  découvert par une firme américaine, unit les avantages du verre à ceux des céramiques. Comme le verre, on peut lui donner des formes variées, mais il possède aussi les qualités de dureté et de résistance des céramiques. Le Pyrocéram est fabriqué à partir d'un verre dans lequel on a introduit des sels d'or, d'argent ou de cuivre. Ceux-ci servent d'agents de cristallisation au cours du traitement thermique. Cette matière nouvelle, dont on a pu créer plus de 400 variétés en laboratoire, peut-être plus dure que l'acier et le granit, tout en étant plus légère que l'aluminium. Aussi ses usages se multiplient-ils : cônes de fusées, roulements à billes, creusets, meules, etc. L'ingénieur atomiste, lui-même, ne peut se passer du verre pour réaliser les manipulations les plus délicates sur des produits dont les radiations sont mortelles. Des dalles d'un verre spécial, contenant une forte proportion de plomb et de baryum (jusqu'à 80 %), arrêtent les radiations. Les hublots ainsi formés peuvent peser jusqu'à 8 t !
Dans les domaines les plus avancés de la recherche scientifique, le verre ne tarde pas à s'imposer. Ainsi, le Laser, appareil qui permet de produire un faisceau lumineux très intense pouvant atteindre une puissance de rayonnement un million de fois supérieure à celle du soleil, a-t-il été, au départ, constitué par un rubis synthétique, alors qu'un verre spécial contenant des atomes de néodyme tend à le supplanter.

MATÉRIAU INDISPENSABLE 

Cet article ne suffirait pas à citer tous les domaines où le verre reste le matériau indispensable et le mieux adapté, et toutes ses applications prévisibles dans l'avenir. L'industrie du verre a été trop longtemps considérée comme une activité mineure parmi les "grands", comme la sidérurgie ou la construction automobile ; mais, au XXIe siècle, l'importance de ses investissements, le modernisme de ses usines automatiques, la diversité de ses productions en ont fait une industrie pilote, dont la plupart des secteurs économiques utilisent les produits.
En moins de 100 ans, les traditions millénaires de la verrerie ont été bouleversées par une évolution prodigieuse de la technique qui ne fera certainement que s'affirmer dans l'avenir. Le verre de jadis a donc su devenir un élément indispensable au monde de demain.

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