jeudi 22 août 2013

ANECDOTES PRÉSIDENTIELLES

Les meilleures anecdotes qui ont couru sur les présidents de la IIIe République.

ADOLPHE THIERS

- M. Thiers, disait le sculpteur Préault, qui avait la dent dure, c'est M. Prudhomme au zénith.

Peu d'hommes furent aussi chansonnés, caricaturés, moqués, et peu, malgré tout, restèrent aussi populaires. A sa mort circulait cette cruelle épitaphe : 


On dit depuis qu'il est mort 
Pour glorifier sa mémoire : 
Ci-gît celui qui vient encore
De délivrer le territoire ! 
Il avait une grande bonhomie, que d'aucuns prétendaient fausse, mais qui plaisait. 
Dès cette première présidence naît la légende d'économie, disons nettement le mot : d'avarice, qui va peser sur tant d'hôtes successifs de l'Elysée. Auguste Villemot conte qu'à un déjeuner offert au prince Gortchakoff, ambassadeur de Russie, comme, au dessert, Thiers allongeait le bras pour saisir, sur une assiette, une poire, Mme Thiers l'arrêta : 
- Adolphe ! Adolphe ! tu sais bien que la grosse est pour ce soir ! 
En 1875, Thiers, souffrant, dut aller se reposer sur la Côte d'Azur ; il chargea son ami Saint-Hilaire de lui trouver un hôtel. Saint-Hilaire obtint des prix très doux et, cependant, il confia à Mme Juliette Adam : 
- Vous verrez qu'"Elle" trouvera encore cela trop cher ! 
LE MARÉCHAL DE MAC-MAHON
Les mots de Mac-Mahon sont restés célèbres. Il faut ajouter qu'ils sont pour la plupart, apocryphes, ou du moins très arrangés, tel celui devant les inondations de Toulouse : "Que d'eau ! Que d'eau !"
Il en est beaucoup d'autres, moins populaires. Passant à Lisieux, il était harangué par un vénérable ecclésiastique : 
- Quel âge avez-vous donc, monsieur le curé ? demanda le président, aimablement. 
- Quatre-vingt-quinze ans.
Alors, se tournant vers son officier d'ordonnance, avec admiration : 
- Magnifique ! Quatre-vingt-quinze ans, et pas encore mort ! 
Un matin, il demandait au secrétaire général de l'Elysée, le vicomte d'Harcourt : 
- Quelle heure est-il, mon ami ? 
- Il est 11 h 10, monsieur le Maréchal. 
- Ce d'Harcourt ! il sait tout ! 
On lui présentait le capitaine Wolff, qui venait de traverser la Manche à la nage. Il le félicita chaleureusement : 
- Ça a dû être dur, capitaine, hein ! hein ! surtout dans les montées ! 
En vérité, la plupart de ces "mac-mahonneries" furent inventées de toutes pièces par les chroniqueurs de l'opposition, ravis de déconsidérer le vieux soldat. 
La maréchale de Mac-Mahon fut, par contre, toujours épargnée par les polémistes. C'est qu'elle avait autant d'esprit que de bonté. Un vieil officier de troupe, chargé de lui présenter une délégation de son régiment, pataugeait, bafouillait, bredouillait, puis s'exclamait : 
- Ah ! c'est malheureux ! Je savais si bien mon histoire tout à l'heure dans l'escalier ! 
- Eh bien ! capitaine, fit en souriant la maréchale. Donnez-moi votre bras et allons-y ! 
JULES GREVY
De nouveau, l'esprit parcimonieux de la présidence alimenta les rubriques d'échos et les chansons des cabarets.
La bonne Mme Grévy, de vieille souche paysanne, était assurément facile à caricaturer. Elle descendait tous les matins donner à manger aux canards de l'Elysée, veillait elle-même au bon état des flanelles du président et vérifiait chaque jour les notes de la cuisinière. 
Mistral vint à Paris pendant la première présidence de Jules Grévy. Le président l'invita à déjeuner. Le poète se trouva tout naturellement à la droite de Mme Grévy, qui voulut le mettre, dès l'abord, à l'aise et, entama la conversation en lui demandant : 
- Vous êtes du Midi, je crois, monsieur Mistral ? 
Jules Grévy n'eût pas témoigné d'aussi grande candeur, car il avait des lettres.
Mais Mme Grévy était coutumière, elle, de ces énormes naïvetés. Lorsque le prince de Galles, en 1884, fut reçu à l'Elysée, Mme Grévy, l'entretien terminé, dit au président : 
- Jules, reconduis donc Monsieur ! 
Au cours de l'hiver de 1886-87, Jules Grévy demanda à son jardinier chef de chasser les corbeaux qui, disait-il, salissaient les gazons. Le jardinier, ami des bêtes, résista longtemps, puis céda devant un ordre formel et détruisit les nids. Toute la journée, les corbeaux tournoyèrent au-dessus de l'Elysée en poussant des croassements de malédiction. C'était sinistre. Grévy eut une angoisse.
- J'ai eu tort. Ils me porteront malheur ! 
Cinq mois plus tard éclatait le scandale Wilson, qui a été longuement raconté : Grévy, compromis, démissionnait.
"Les chansonniers de l'époque n'eurent garde de manquer une si belle occasion, raconte Huguette Boussaud, et les Parisiens chantèrent : Ah ! quel malheur d'avoir un gendre ! ou Les lamentations d'un beau-père, pendant que le Gaulois, journal grave s'il en était pourtant, publiait en première page cette annonce : 
A céder 
Après fortune faite 
un fonds de président de la République 
dans quartier riche 
Maison fondée en 1879 
au coin de l'avenue Gabriel. 
SADI CARNOT
Le nouveau chef de l'Etat devait être relativement peu chansonné, mais, par contre, abondamment caricaturé. C'est Caran d'Ache qui lança le Carnot en bois qui allait reparaître pendant six ans dans tant de dessins et qui était, il faut bien le dire, fort amusant.
En 1886, le philosophe Gustave Le Bon, revenant des Indes, faisait don à son ami Carnot d'une idole de pierre venant du Népal : 
- Elle passe pour assurer le pouvoir à la famille dans laquelle elle entre, mais aussi pour lui attirer des morts violentes. 
Le soir de l'élection de son mari, Mme Carnot écrivit au savant : "J'ai peur." 
Rien de plus, mais Gustave Le Bon comprit.
Barrès contait un mot du préfet du Rhône, quelques heures avant l'arrivée du président : 
- Je viens, disait le préfet M. Rivaud, de réorganiser ma police entièrement. Il n'y en a pas une dans toute la France qui la vaille. 
- Touchez du bois, Rivaud ! dit superstitieusement Barrès.
CASIMIR-PERIER
La courte présidence de Casimir-Perier ne lui épargna pas les attaques.
Dès le premier jour, les socialistes l'injurièrent avec fureur. Le Chambard, de Gérault-Richard, alla si loin que le président le traduisit en cour d'assises. Jaurès plaida pour Gérault. A un moment, il évoqua Mandrin : 
- Vous ne pouvez tout de même pas comparer M. Casimir-Perier à Mandrin ? observa le président des assises.
- Je ne compare pas, en effet, dit Jaurès. Je mets Casimir-Perier, très au-dessous.
Casimir-Perier aimait les arts. Il était l'ami de Corot. Un jour, il lui demanda une toile : 
- Volontiers, dit Corot, à condition que vous ne me la paierez pas...
- Mais...
- Non. Vous paierez les notes de boucher et de boulanger de mon ami Millet.
Quand on présenta les notes au président, il y en avait pour 3 350 euros (22 000 francs de l'époque) d'une part, 3 580 euros de l'autre (23 500 francs de l'époque). Le crédit ouvert au peintre de l’Angélus remontait à treize ans. Casimir-Perier paya sans sourciller.
FELIX FAURE
C'est par son extraordinaire vanité que Félix Faure donna prise aux railleurs. L'anecdote la plus connue met en scène son vieil ami Etienne, le député d'Algérie, qui venait le féliciter après son élection : 
- Je te complimente...
Félix Faure l'interrompit : 
- N'oubliez pas, mon cher ami, qu'on ne tutoie pas le chef de l'Etat. 
Etienne ne resta interloqué qu'un instant : 
- Tu me permets de te tutoyer une dernière fois ?
- Allez ! fit le président.
- Eh bien, je te dis : merde !
Mme Félix Faure reprit, dans les chroniquettes, la place exacte qu'y avait, tenue Mme Jules Grévy. Elle était restée très provinciale, et on s'en apercevait. Comme un jour on lui faisait observer discrètement qu'elle avait tort de ne pas donner à l'ambassadeur d'Espagne son nom entier : M. Fernan-Numez : 
- Mais, dit-elle, je ne le connais pas assez pour l'appeler par son prénom ! 
En vérité, ce fut surtout la fille du président, Mlle Lucie Félix-Faure, celle qu'on appelait "la Grande Mademoiselle", plus tard Mme Félix-Faure-Goyau, qui dirigea l'Elysée pendant le septennat de l'ancien tanneur.
"Il était dit que les femmes qu'il avait tant aimées devaient assurer la perte de "Félix le Bel", raconte encore Mme H. Boussaud ; un soir tragique de février 1899, après avoir dû couper les cheveux de Mme Steinhel, sa maîtresse, dans lesquels les doigts du mourant frappe d'apoplexie, s'étaient crispés, on remonta en hâte le moribond sur son lit de fer au premier étage pendant qu'un valet de chambre sortait en courant pour chercher un prêtre. Le hasard permit qu'il en passât justement un qui regagnait sa cure. 
- Oh ! venez vite, monsieur l'abbé. C'est Dieu qui vous envoie ! s'écria le valet effaré. Le président est au plus mal. 
- A-t-il encore sa connaissance ? demanda l'homme d'Eglise en franchissant précipitamment le portail. 
- Non, on l'a fait sortir par la porte de derrière...
EMILE LOUBET 
Quand Félix Faure disparut, Clemenceau écrivit dans l'Aurore : 
"Ce n'est pas un homme de moins, ce n'est qu'une place de plus."
Emile Loubet l'occupa, cette place, très dignement. Il eut une présidence agitée par les remous de l'affaire Dreyfus (on se souvient peut-être qu'en juin 1899, au Grand Prix d'Auteuil, il était frappé à coups de canne par un militant d'extrême-droite, le baron Christiani) ; mais il fut moins chansonné que ses prédécesseurs. On lui prêta même quelques mots assez jolis ; en 1905, par exemple, quand une bombe fut jetée sur sa voiture, qui traversait la rue de Rivoli, et où il était avec le roi d'Espagne Alphonse XIII, il se serait tourné vers le roi, en lui disant avec calme : 
- Je crois qu'on veut nous faire peur ! 
Tout au plus ironisa-t-on parfois sur sa pruderie. On contait notamment que, lorsqu'il rendit visite à Edouard VII, à Londres, le roi recommanda de ne point mettre dans ses appartements d'ouvrages légers. On le dit à M. Loubet qui, connaissant la réputation qu'on lui faisait, sourit et se contenta de dire : 
- Le roi a eu raison ; à mon âge, on ne relit point ! 
Il avait une exquise bonhomie. A je ne sais quelle fête d'étudiants, on ne retrouva plus, au vestiaire, sa pelisse. Les organisateurs de la fête se confondaient en excuses : 
- Ne vous mettez pas en peine, dit-il aimablement. Je la reprendrai l'année prochaine ! 
ARMAND FALLIÈRES
Par contre, avec Armand Fallières, les plaisanteries reprirent de plus belle. On prétendit que, inaugurant une exposition de Rodin, il avait dit au grand sculpteur  en considérant les torses, les têtes, les mains épars : 
- Vous n'avez vraiment pas eu de chance, mon cher maître !... Avec ces déménageurs !...
Il disait au peintre Sisley, qui allait le guider : 
- Allez ! allez ! Je vous suis les yeux fermés ! 
Mme Fallières n'était guère moins moquée. L'Assistance publique s'étant plainte de ne plus recevoir pour ses hôpitaux le gibier tué à Rambouillet, une enquête révéla que les fonctionnaires chargés des expéditions vendaient ledit gibier. 
Grandissime indignation de Mme Fallières : 
- Vous comprenez bien que si l'on pouvait vendre ce gibier, nous le vendrions aussi bien nous-mêmes ! 
RAYMOND POINCARÉ
Au "Grand Lorrain", ses ennemis ne pouvaient guère reprocher que son extraordinaire goût du travail, sa peur des responsabilités ("Il court s'abstenir.") et un esprit peut-être exagérément juridique. On prête à Clemenceau maints traits féroces contre lui. 
- Il sait très bien ce qu'il ne veut pas. Il ne sait pas du tout ce qu'il veut. 
- Poincaré ?... Une âme de lapin dans une peau de tambour ! 
- Poincaré sait tout et ne comprend rien. Briand ne sait rien et comprend tout. 
On demandait à Philippe Berthelot : 
- Votre Poincaré est-il vraiment un si grand homme ? 
- La perfection même, mais rien de plus ! 
PAUL DESCHANEL
Sinistre aventure : toute sa vie, Paul Deschanel avait eu les yeux fixés sur l'Elysée. Il y entre, et le Destin aussitôt l'abat. Dans un des rares moments de lucidité qu'il eut après son "accident", il disait à Briand : 
- Molière a beaucoup raillé les médecins de son temps ; pour les médecins du nôtre, il faudrait Shakespeare ! 
Quand on rapporta à Clemenceau, à qui Deschanel avait enlevé de haute lutte la présidence de la République, que son heureux rival était tombé d'un train : 
- Ça devait finir comme ça, fit le Tigre. M. Deschanel a toujours été pressé d'arriver. 
"Après avoir lutté avec toute son énergie contre la nuit qui s'emparait de lui, dit Mme Boussaud, le mal empira. Il alla se reposer à Rambouillet ; un matin, à l'aube, un employé du château qui pêchait à la ligne, relevait une tanche, lorsqu'il vit avec stupeur le président qui lui avait parlé un moment auparavant, au beau milieu du canal, peu profond à cet endroit, et qui ne semblait se rendre compte en aucune façon de la situation étrange dans laquelle il se trouvait. L'alarme fut donnée, et le 21 septembre, Paul Deschanel se démettait de ses fonctions."
ALEXANDRE MILLERAND
La gravité d'Alexandre Millerand portait peu à la plaisanterie. Tout au plus ironisa-t-on sur une puissance de travail qui égalait celle de Raymond Poincaré. 
- Il lit dès qu'il a un instant de libre, contait, par exemple, un de ses chefs de cabinet. Dans ses w.-c., il y a une planchette avec le gros Larousse en dix-sept volumes. Il en lit une page ou deux chaque jour...
GASTON DOUMERGUE
Il fut remplacé par Gaston Doumergue, dont le sourire bon enfant fit merveille et apaisa les passions. Le soir de son élection, comme le nouveau président, revenant de Versailles, descendait les Champs-Elysées au milieu des acclamations, une ou deux voix crièrent : 
- Vive Millerand ! 
- Dire qu'il y a encore des gens qui ne lisent pas les journaux ! fit avec bonne humeur Gaston Doumergue.
Quelqu'un, peu après, lui disait, faisant allusion à sa parfaite réussite : 
- Toute la France est avec vous, monsieur le Président. 
Il interrompit, modestement : 
- Dites plutôt que c'est moi qui suis avec toute la France : ce sera, je vous assure, beaucoup plus vrai.
On lui demandait s'il continuait à jouer au bridge, un jeu qu'il avait beaucoup aimé : 
- non, non, fit-il. Où je suis, je ne peux plus faire que des réussites ! 
On lui parlait avec inquiétude des divisions qui opposaient les Français : 
- Bah ! dit-il. Dans le meilleur ménage que je connaisse, le mari prend le matin du café au lait et la femme du chocolat. Nos divisions, au fond, ne vont pas plus loin.
PAUL DOUMER
Le soir de son élection, Paul Doumer montra à quelques intimes réunis à sa table une lettre datant de l'époque où il était au collège de Remiremont, lettre d'un inspecteur général, et disant : 

"Mon cher professeur, étant donné que vous venez d'échouer à votre licence pour la huitième fois, je crois qu'il vaudrait mieux que vous cherchiez votre voie en dehors de l'enseignement..." 

Sautons un demi-siècle à pieds joints. 
Le jour où il se rendit à la vente des Écrivains combattants, où il allait être tué, Paul Doumer avait à sa table André Tardieu, qui lui demandait d'intervenir à la chancellerie de la Légion d'honneur pour la cravate d'un de nos plus grands savants : 
- Je vais faire la lettre pendant que vous prendrez votre café, dit le président.
- Oh ! cela ne presse tout de même pas à ce point ! protesta en riant Tardieu. 
Alors, Paul Doumer : 
- On ne sait jamais. Je peux mourir demain, qui sait même dans une heure ! 
Et il se mit à son bureau.
ALBERT LEBRUN

Albert Lebrun a connu des heures assez tragiques pour qu'on ne soit pas tenté de rappeler les mille et une petites plaisanteries qui égayèrent ses huit années élyséennes.
Nous ne conterons qu'une anecdote, nullement irrévérencieuse. Quand Paul Doumer fut élu président, les voix qui ne lui furent pas acquises s'éparpillèrent ainsi : 401 à Aristide Briand, 15 à Jean Hennessy, 10 à Marcel Cachin, 4 à Albert Lebrun.
- C'est la deuxième fois que tu es le dernier de ta classe, fit un vieil ami. Te rappelles-tu ? Tu es entré dernier à Polytechnique ; deux ans après, tu en sortais premier. Combien te faudra-t-il cette fois ?
- Au moins sept ans, fit en riant Albert Lebrun. 
- Qui sait ? risqua son ami. 
Et en effet, moins d'un an plus tard...
C'est au tour de M. Vincent Auriol d'entrer dans l'histoire. On lui a prêté assurément maints bons mots - en plus de ceux qu'il a prononcés.
A vous de poursuivre la recherche de ces anecdotes présidentielles... dans vos livres, journaux, et archives sonores désormais. 

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